Dans la forêt perdue ...

 

Kerval était debout devant le jeune garçon, les poings posés sur les hanches, il attendait une réponse.
Le garçon tournait la tête successivement vers chacune des personnes en face de lui, ne sachant quoi dire, ni à qui. Finalement il se décida, prit une longue inspiration et dit :
- Je m’appelle Marl, m’sieur.
- Et bien Marl, enchanté de faire ta connaissance, dit Kerval. Tu nous expliques ce que tu faisais dans les parages, tout seul et poursuivis par les kraaniens ?
Marl baissa les yeux et regarda ses pieds sans rien dire.
- Nous n’allons pas te manger, dis-nous ce qui c’est passé, dit Crowbanner d’une voix rassurante.
Marl releva la tête et le regarda dans les yeux, et d’une voix emplie de tristesse :
- Ils sont morts.
- Qui est mort ? demanda Kerval.
- Mes parents, on était parti en balade et on a été attaqué par des brigands, on a fui et on s’est caché dans la forêt, et c’est là que ces monstres nous sont tombés dessus. Mes parents m’ont protégé et m’ont dit de fuir. Alors j’ai couru aussi longtemps que j’ai pu, je les entendais hurler derrière mais je n’osais pas me retourner.
Le visage inondé de larmes, Marl continua :
- Quand j’ai arrêté de courir, je me suis aperçu que j’étais perdu et puis ils m’ont rattrapé, alors je suis reparti tout droit et puis j’ai enfin trouvé la sortie et vous étiez là.
Personne ne dit rien pendant une minute puis :
- Tu as été très courageux Marl, dit Crowbanner. Nous partagons ta peine, mais le cauchemar est fini maintenant, bien que nous puissions ramener tes parents. Tu vas rester avec nous jusqu’à ce que nous trouvions quoi faire de toi.
Kerval lança un regard noir à Crowbanner et dit :
- Crowbanner, je peux vous parler ?
- Bien sur.
- En privé !
Les deux hommes s’éloignèrent et Kerval apostropha l’évêque :
- Vous êtes fous ? Nous ne pouvons pas l’emmener avec nous !
- Et que voulez-vous qu’on fasse de lui ? Qu’on l’abandonne ici ? Il ne tiendrait pas cinq minutes !
- Je… C’est trop dangereux ! Et puis il va nous ralentir.
- Je me charge de lui, dit Ours Blond qui venait de les rejoindre.
- Quoi ? lui demanda Kerval.
- Je me charge de lui, je le protègerai, il chevauchera avec moi. Mais il est hors de question qu’on l’abandonne ici !
- Bien, comme tu veux, mais on le laisse dès qu’on peut !
- On verra
- Bon, nous avons suffisamment perdu de temps comme ca, dit Kerval en retournant vers le reste du groupe. En route ! La Forêt Perdue nous attend.
Ils remontèrent en selle et reprirent leur route.

Le soleil était très bas sur l’horizon quand il aperçurent au loin la Forêt Perdue, du haut d’une colline. Elle semblait sortir de nulle part. C’était comme si un géant avait arraché une motte de terre en coupant une ligne droite pour délimiter la forêt. Aucun arbre ne poussait au-delà de ce trait imaginaire. D’un coté, il y avait les arbres, de l’autre, la rocaille.
- C’est ça ? demanda Kerval à rednalhgih.
- Oui, c’est la Forêt Perdue.
- Elle a quoi de spéciale cette forêt ? demanda Marl.
Rednalhgih fit volter son cheval et répondit au garçon :
- C’est une forêt qui est supposée être magique. Les rumeurs disent que les chemins y changent sans arrêt et qu’il ne faut pas se retourner, car on risquerait de voir que le chemin qu’on empruntait a disparu. Très peu de gens en sont sorti. Mais c’est surtout le repaire du peuple des Amazones.
- Les Amazones ? demanda Marl les yeux plein de curiosité.
- Oui, une peuplade de femmes guerrières, magiciennes ou archères. On raconte qu’elles tuent les hommes qu’elles capturent, et qu’elles gardent emprisonnés les meilleurs pour les utiliser comme étalon reproducteur. On dit aussi que leurs archères se mutilent un sein pour ne pas qu’il les gêne quand elles doivent utiliser leurs arcs.
- Ouah ! Terrible, et on fait quoi si elles nous capturent ?
- Prions pour que cela ne nous arrive pas, mon jeune ami, dit Kerval. Allez, continuons notre route !
Ils repartirent tous au galop vers la forêt.
Derrière eux, le soleil disparut derrière des montagnes lointaines.

Delilah se réveilla, hébétée, prise d’un mal de crâne lancinant. Elle ouvrit doucement les yeux et regarda autour d’elle.
Il faisait nuit, elle était dans une petite clairière, les mains attachées autour du tronc d’un arbre. Un feu était allumé quelques pas devant elle et trois hommes étaient aussi autour.
Elle tenta de se releva, mais ses nœuds étaient trop serrés et elle ne pouvait pas bouger. Tout ce qu’elle réussit à faire fût d’attirer l’attention d’un de ses ravisseurs.
- Tiens, notre invitée est réveillée les gars, dit celui qui l’avait entendue.
- Ah, on va enfin pouvoir s’amuser, dit le deuxième en se relevant.
- C’est sur que quand elle dormait c’était pas drôle, on a bien fait d’arrêter.
À ces mots, Delilah baissa le regard sur elle, affolée, et remarqua que sa tunique avait été défaite. Elle réalisa de quoi ils parlaient et des sanglots lui remontèrent dans la gorge, mais elle se garda bien de pleurer, cela aurait fait trop plaisir à ses ravisseurs.
Les trois hommes étaient maintenant debout et s’approchaient d’elle. À la lueur du feu, leurs visages semblaient pris de folie, ils avaient des grosses cernes violacées sous les yeux. Ils avaient la peau basanée caractéristiques des marins et portaient tous des vêtements de cuirs.
- Qui êtes-vous ? demanda Delilah sans être sure de vouloir connaître la réponse.
- Qui nous sommes ? Z’avez entendu les gars ? La p’tite veux savoir qui on est ! Elle a pas r’connu les Corsaires d’Angélus, dit le plus grand d’entre eux, qui semblait être leur chef.
- Pourquoi faites-vous ça ? Je pensais que vous ne faisiez que racketter les voyageurs !
- Oh, mais c’est vrai, mais en te voyant on s’est dit qu’on préfèrerait un paiement en nature, pas vrai les gars ?
Ses deux comparses acquiescèrent en lorgnant sur la poitrine de Delilah, l’un d’entre commençait déjà à déboucler sa ceinture.
Delilah donna des coups de jambes, essayant de les frapper comme elle pouvait, mais sa position inconfortable ne lui permettait pas de porter de coups efficaces. Elle réussit malgré tout à frapper l’un d’eux dans l’entrejambe. Le corsaire hurla et tomba à genoux en se tenant les testicules dans les mains.
- Tu vas regretter ça, espèce de sale catin, lui dit le chef des corsaires en lui donnant une gifle et en lui tirant les cheveux en arrière.
Delilah hurla et se débattit de plus belle, mais le deuxième corsaire arrive et lui bloqua les deux jambes.
Comprenant qu’elle ne pouvait rien, Delilah cessa de se battre et fit le vide dans son esprit. Si ils devaient la violer, ils violeraient un corps flasque et sans vie.
- Rha ! C’est pas drôle ca ! Allez, catin, réagis ! dit le chef des corsaires en lui donnant une nouvelle gifle.
- Vous là- bas ! dit une voix. d’homme Ne la touchez pas et éloignez-vous.
- Qui est là ? demanda le plus petit pirate en se retournant.
- Relâchez cette femme ou vous allez le regretter ! dit une voix féminine.

Les pirates relâchèrent Delilah et se tournèrent vers les voix. Ils scrutèrent les arbres, essayant d’apercevoir des formes dans l’obscurité, mais ils ne voyaient rien.
- Où vous cachez-vous ?
- Là bas ! dit le petit pirate en pointant un doigt sur sa gauche, j’ai vu quelque chose bouger !
Le chef des pirates regarda dans la direction indiquée par son comparse, plissa des yeux et regarda avec plus d’attention.
- Il n’y a rien là-bas.
- Mais si ! Regardez ! Y’a un rougeoiement !
Les trois pirates regardèrent dans les ténèbres de la forêt, un point rouge brillait à une dizaine de pas en face d’eux. Le chef des pirates ordonna à ses hommes d’aller voir. Les deux pirates s’avancèrent doucement vers le point rouge. Arrivé à quelques pas, la voix masculine leur dit :
- Dommage, votre curiosité vous perdra
Le point rouge grossit, s’éleva vers les hautes branches, éclairant au passage le visage d’un homme aux cheveux noirs. Les pirates fixaient le point rouge, hypnotisés jusqu’à ce qu’il s’arrête au-dessus de leur tête. Le point rouge se mit à tournoyer au-dessus d’eux, à se multiplier en centaine de points rouges. D’un seul coup, les points cessèrent de bouger, et l’homme dit :
- À Bientôt, dans une autre vie ! Pluie d’étincelle !
À ces mots, les points rouges grossirent pour devenir gros comme des oranges, s’enflammèrent et retombèrent sur les pirates qui tentèrent de s’enfuir en hurlant et en essayant d’éteindre leurs vêtements en feu. Les deux pirates disparurent à la vue de leur chef qui se tourna vers l’homme.
- Espèce de monstre ! Qu’as-tu fait à mes hommes ?
- Je leur ai donné la leçon qu’ils méritaient. On ne maltraite pas les femmes comme ca.
L’homme sorti de l’abri des arbres et s’avance dans la lumière du feu de camp. Il portait une longue robe noire de sorcier et tenait un bâton de bois dans la main droite, ses cheveux étaient coupés courts et coiffé vers l’arrière. Juste derrière lui se tenait une jeune fille à la beauté troublante, de longs cheveux blonds lui retombaient en cascade dans le dos jusqu’au bas des reins, son visage était illuminé par de grands yeux verts, elle était habillée d’une simple tunique de cuir noir, recouverte de poussière. Elle portait une hache à long manche dans les mains.
- Les hommes de ton espèce, j’ai envie de les découper en rondelles, dit-elle, pleine de hargne envers le pirate.
- Relâche la demoiselle et fiche le camp d’ici, dit le sorcier.
- Jamais ! Je n’ai pas peur de vous ! Les Pirates d’Angélus ne ploient pas comme ca, leur répondit-il avec un air de défi, après avoir remarqué quelque chose derrière ses vis-à-vis.
- Files d’ici, ou bien tu subiras le même sort que tes amis, dit le sorcier. Et pourquoi souris-tu comme ça ?
- Merrick ?
- Oui Shan ?
Merrick, puisque tel était son nom, se retourna vers sa compagne et la découvrit avec un couteau sous la gorge. Un des deux pirates n’avait pas succombé au feu et était revenu derrière sans faire de bruit.
- Alors on rigole moins maintenant que les rôles sont inversés, n’est-ce pas ? demanda le chef des pirates.
- Espèce de làche !
- Mais oui, on dit toujours ça quand on est du mauvais coté de la barrière. Allez, jettes ton bâton et vas t’asseoir contre l’arbre et pas de blague, sinon ta copine y passe
Merrick s’exécuta, un sourire a coin des lèvres.
- Ca te fait sourire ? lui demanda le pirate.
- Oui, ton ami est mort, mais il ne le sait pas.
- Pardon ?
- Héloïse ! À toi de jouer.
- Hein ! ?
Les branches au-dessus d’eux bruissèrent, un sifflement parti du haut des arbres et l’instant d’après, le pirate qui menaçait Shan s’écroulât au sol, une flèche planté entre les deux yeux. Une jeune fille sauta des branches et atterrit au sol avec prestance, elle se retourna vers le pirate en pointant une nouvelle flèche sur lui. Elle portait un pantalon de velours marron, une chemisette grise, une longue cape noire attaché par une broche en forme de papillon était accrochée à son cou. Elle sourit au pirate, découvrant une rangée de dents parfaitement blanches.
- Alors ? Tu restes ici ou bien tu te sauves avant que mes doigts dérapent ?
Le pirate ne se le fit pas dire deux fois et prit ses jambes à son cou. Merrick se releva et s’approcha de Shan, et l’aida à se relever.
Les trois compagnons détachèrent ensuite Delilah.
- Merci beaucoup à vous. Vous m’avez sauvé la vie, je vous en serai éternellement reconnaissante, leur dit-elle.
- Ne nous remerciez pas, Dame. Mais dites-nous plutôt ce qu’une jeune femme faisait toute seule dans cette forêt ? lui demanda Merrick
- Et bien, je dois rejoindre au plus vite des amis à moi qui courent un grand danger. Le Chambellan Royal veut les faire assassiner. Le Maître d’Arme est parti à la recherche…
- Oh la, du clame Dame, on ne comprend pas ce que vous dites, vous parlez du Chambellan, du Maître d’arme.. Mais, permettez-moi de vous poser cette question : qui êtes-vous ?
Delilah se redressa et les regarda dans les yeux à tour de rôle et dit :
- Je suis Delilah Alandra de Goldmoon, fille du Roy Théodore, Princesse du Royaume de Goldmoon.
- La Princesse Delilah ? lui demanda Héloïse.
- Elle-même, aussi vous comprenez la gravité de ma mission, je me dois de retrouver Kerval au plus vite afin de le prévenir du danger qui les guette, lui et ses compagnons, donc, si vous permettez, je vais vous laisser et reprendre ma route vers les Montagnes Noires, j’ai déjà pris beaucoup trop de retard.
Sur ces paroles, Delilah se retourna vers son cheval qui était attaché à un arbre non loin de là, mais Merrick la retint en lui attrapant la main.
- Attendez Princesse, nous vous accompagnons.
- Comment ? Que dites-vous messire… Merrick ?
- Merrick, c’est bien cela, et voici mes compagnes de voyage, Shan et Héloïse. Et nous vous accompagnons. Ce n’est pas la peine de discuter, il est hors de question que nous vous laissions voyager seule par ici, la route que vous devrez emprunter est bien trop dangereuse.
Comprenant qu’elle ne pourrait pas les faire changer d’avis, elle accepta leur proposition, et ils partirent tous les quatre en direction des Montagnes Noires.

Owen faisait les cent pas dans la salle du trône, l'air soucieux. Cela faisait plus d'une journée que personne n'avait aperçu la princesse au
château, et pour couronner le tout, le roi semblait reprendre des forces.
Owen cherchait un moyen de ne pas être gêné par cet éventuel retour du roi quand un garde entra dans la salle du trône.
- Vous l'avez trouvée ? demanda Owen.
- Non monsieur, nous avons fouillé tout le château, mais toujours aucune trace de la princesse, en revanche.
- Elle doit bien être quelque part ! ! Elle ne peut pas avoir disparu comme ca ! dit-il en frappant du poing sur le trône. Cherchez encore.
- Excusez-moi Grand Chambellan, mais il y a ici un homme qui désire s' entretenir avec vous.
- Je n'ai pas le temps
- Pardonnez-moi d'insister, mais il prétend que vous attendez sa venue.
- Vous a-t-il donné un nom ? À quoi ressemble t'il ?
- Il a refusé de décliner son identité, et ma foi, il ressemble à un mendiant.
- Et bien faites-le entrer, dit Owen en poussant un long soupir.
Le garde sorti et revint quelques instants plus tard, faisant entrer un vieillard habillé de guenilles dans la salle du trône. Le vieillard s' approcha d'Owen en gardant la tête basse, cachée sous une capuche ample.
- Que voulez-vous ? Dépêchez-vous, je n'ai pas le temps, j'ai des affaires importantes à régler.
- Je crois que vos affaires attendront.
- Comment ? Mais. cette voix ?
Le vieillard rejeta sa capuche en arrière, révélant par-là un visage jeune et sans ride.
- Dayo ! J'avais reconnu ta voix, mais le garde m'avait parlé d'un vieillard.
- Juste un tour de passe-passe, rien de plus simple. Il est facile de tromper les esprits faibles.
- Tu as bien fait de venir, mais ne restons pas ici, allons dans mon bureau..
Les deux hommes se dirigèrent vers le fond de la salle, empruntèrent un couloir, montèrent un escalier et arrivèrent au bureau d'Owen.
- Bien, je t'avais confié une mission il me semble, où en es-tu ? demanda Owen
- C'est justement pour ca que je suis venu vous voir, j'ai envoyé mes meilleurs éléments à leur poursuite, le sort de Kerval et sa clique sera réglé dans peu de temps.
- Très bien, parfait. Et puis tu tombes bien en fait, le roi va mieux, je veux qu'il ne se réveille jamais.
- Cela aussi sera fait, tenez, donnez-lui ceci.
Dayo sortit un petit flacon de sa poche et le tendit à Owen.
- C'est un poison qui lui volera ses forces petit à petit, avec ca, il ne se réveillera pas de sitôt.
- Très bien, je te remercie. Nous n'avons plus qu'à attendre maintenant
- N'oubliez pas votre part du marché, je veux le cour de la princesse.
- Oui, oui, dit Owen en cachant son inquiétude à propos de la disparition de Delilah.

Le soleil commençait doucement sa course dans le ciel, Kerval était debout et regardait ses compagnons encore assoupis. Ils avaient dormis non loin de la Forêt Perdue, le soleil s'étant couché tôt, Kerval avait jugé plusprudent de passer la nuit en dehors de la forêt et des dangers dont on l' affublait. La nuit s'était bien passé, le petit Marl s'était réveillé plusieurs fois suite à des cauchemars, mais Ours avait vite fait de le rassurer.
Kerval scrutait maintenant la Forêt Perdue. Elle n'était située qu'à quelques pas de leur campement et pourtant il ressentait sa présence
maléfique au plus profond de son être, se demandant qui pouvait bien être ces Amazones qui osaient y vivre.
Kerval entendit un bruit dans son dos et se retourna, Crowbanner venait de se réveiller et était en train de s'étirer.
- Bien dormi ? demanda-t-il à Kerval en souriant.
- Très bien Crowbanner, et vous ?
- Comme un loir, si ce n'était les mauvaises vibrations que j'ai ressenties venant de la forêt.
- Vous les avez ressenties vous aussi?
- Oui, et je pense que les cauchemars de notre jeune ami n'y sont pas étrangers, ajouté au malheur qui l'a touché.
- J'espère que nous n'en aurons pas de problème en traversant la forêt, dit Kerval en lançant un regard soucieux sur la forêt.
- Il n'y aura pas de problème, dit une voix derrière eux.
Red venait de se lever, il rajusta sa robe et s'approcha d'eux en baillant, encore à moitié endormi. Derrière, les autres se réveillaient eux aussi.
- Es-tu si sur de ce que tu avances, ami ?
- Oui, j'ai déjà traversé cette forêt il y a plusieurs années, il est vrai que les Amazones ne s'y étaient pas encore installées, mais je ne pense pas que les chemins aient beaucoup changé depuis lors. Et puis, que peuvent des Amazones contre six magnifiques hommes tels que nous ? ajouta-t-il en rigolant.
Ils prirent un petit-déjeuner succin, rassemblèrent leurs affaires et remontèrent sur leurs chevaux en direction de la forêt.
Ils firent halte à l'orée du bois. Kerval tendis l'oreille pour déceler un quelconque signe de vie dans la forêt, mais aucun son ne leur parvenait, c' était comme si la forêt étouffait tout ce qui vivait en son sein ; pas le moindre bruit d'oiseau, ni de bruissement caractéristique des insectes, pas un souffle de vent, rien, le silence le plus complet.
- Cette forêt me donne la chair de poule, dit Bron le soldat.
- Moi, elle me fait peur, ajouta Marl. On est vraiment obligé de passer par-là ?
- C'est le chemin le plus rapide pour nous rendre à notre destination, désolé gamin, répondit Ours et baissant la tête vers l'enfant.
- Bon, assez tergiversé, entrons, et que les dieux soient avec nous.
Ils reprirent leur chemin et s'enfoncèrent dans la forêt.

Ils chevauchaient maintenant depuis plus de deux heures et ils n' apercevaient toujours pas la sortie. La lumière avait du mal à passer au
travers des hautes frondaisons des arbres centenaires, ils avaient donc été obligés d'allumer leurs lanternes. Ils suivaient la même route depuis qu'ils avaient pénétré dans la forêt, Red leur avait indiqué le chemin à chaque croisement.
- Nous sommes déjà passé par ici, dit Crowbanner. Je reconnais ce chêne.
- Tu es sur que tu connais le chemin, Red ? demanda Kerval.
- Et bien, ma foi, je crois que ma mémoire me fait défaut.
- J'aime pas cette forêt, dit Marl. Dis m'sieur Ours, on est bientôt dehors ? J'ai l'impression qu'elle va nous manger et nous digérer la forêt.
- J'ai moi aussi cette impression, dit Crowbanner. Je sens me forces m' abandonner depuis que nous avons pénétré dans la forêt. De plus, je sens des yeux posés sur moi depuis un moment.
Ils avançaient tout en continuant d'avancer et arrivèrent finalement dans une clairière. En fait de clairière, c'était surtout un cercle de verdure où aucun arbre ne poussait, mais la lumière ne filtrait toujours pas au travers des branches des arbres les plus hauts.
- Je propose que nous fassions halte ici afin de faire le point, dit Kerval.
Les chevaux ont aussi besoin de reposer.
- J'ai faim, dit Marl.
- Et bien nous allons manger un peti.
Kerval ne finit pas sa phrase, il fixait un point situé en face de lui, en dehors de la clairière. Crowbanner suivit son regard et fit le tour du
cercle. Ils étaient encerclés.
- Oh non, les Amazones ! s'exclama Red.

Les Amazones étaient partout autour d’eux, femmes dont les seuls vêtements se résumaient à un pagne cachant leurs parties intimes. Elles étaient toutes armées et apparemment pas très engageantes.
Kerval s’avança, chancelant et s’adressa à ses amis :
- Préparez-vous ! Dégainez vos armes.
N’entendant aucun signe de réaction, il se tourna vers ses compagnons et les vit s’évanouissant les uns après les autres. Il sentit lui aussi ses forces l’abandonner et s’écroula au sol en disant :
- Satanée forêt…

La nuit, des montagnes au loin. Elles se rapprochent très rapidement, de la fumée s’élève de la plus haute d’entre elle. Son sommet est plus sombre que la nuit, noir comme l’ébène. Des nuages noirs cachent le soleil. Des créatures innommables pullulent sur les flancs de la montagne. Des gobelins, des trolls, des araignées géantes, des morts-vivants et des squelettes animés. Le tonnerre éclate dans le ciel. La pluie tombe à verse. Un torrent de boue coule de la montagne, entraînant les créatures qui n’ont pas été assez rapides pour fuir. La pluie cesse aussi vite qu’elle a commencé. Des fumeroles s’élèvent de la terre. Un tas de rochers. Une ouverture dans la montagne. Une grotte.
La grotte est sombre, pourtant on voit à l’intérieur. Un bruit de respiration. Un râle remonte du plus profond de la grotte. Il fait chaud, très chaud. Les parois de la grotte commencent à rougir. De la lumière au loin. La lumière devient plus forte, aveuglante presque. Une grande salle.
Elle est immense, c’est de là que vient la lumière. Des feux sont allumés un peu partout dans la salle, leur lumière se reflètent sur des montagnes de pièces d’or et de bijoux.
Encore le même râle, mais il résonne de souffrance.
Au milieu des richesses, une créature immense, la plus grande de la création. Sa peau est faite d’écailles rouge sang, mais leur couleur est ternie par le temps. Elle a une longue queue fourchue recouverte d’épine. Sa grande gueule abrite une armée de dents aiguisées et plus coupantes que des lames de rasoir. Ses yeux, jadis si plein de vie, lance maintenant un regard vide. Grant, le dragon se meurt. Il sent sa fin proche.
Il relève la tête, tend son long coup vers la sortie, remarque que des créatures essaient de se faufiler à l’intérieur de sa grotte. Il ouvre sa gueule, un torrent de flammes en jaillit et calcine les importuns, n’en laissant même pas des cendres. Ce n’est pas eux qu’il attend. Il va bientôt être là, il le sent.
Grant repose sa tête lourdement sur un monticule de pierres précieuses. Il regarde devant lui et la fixe de son regard pénétrant.
L’Épée est bien toujours là, devant lui, planté dans la pierre. Lame de cristal finement ciselé, une garde en ivoire d’or, matière inconnue des hommes, et pour cause, cette épée est d’essence divine. Elle n’a pas bougé depuis que l’homme, ce Grégory comme il disait s’appeler, est venu la lui confier. Grant lui a promis de la garder jusqu’à ce que le besoin de la redonner aux hommes se fasse sentir.
Grant espère, seul au fond de sa grotte. Il espère qu’Il va bientôt arriver. Il espère survivre jusqu’à son arrivée.
Il ferme doucement les yeux et s’endort.

Marl se réveilla en sursaut. Il venait de faire un rêve étrange. Il regarda autour de lui. Tous ses amis étaient là, à ses cotés, la mine sombre.
Ils étaient au village des Amazones, enfermés dans une grande cage en fer. Devant eux, les Amazones s’affairaient, elles semblaient totalement les ignorer.
Ours s’approcha du jeune garçon et lui demanda :
- Ca va, gamin ? Tu dors depuis deux jours maintenant, on commençait à s’faire du souci pour toi.
- Deux jours ? J’ai l’impression d’être tombé y’a même pas une heure.
- Et ben non.
Red et Crowbanner s’approchèrent à leur tour. Crowbanner lui demanda :
- Alors mon jeune ami, tu as eu un sommeil bien agité, te rappelles-tu ce dont tu as rêvé ?
Marl le regarda, perplexe, essayant de rassembler les souvenirs de son rêve.
- Et bien, je ne sais pas, c’était bizarre, y’avait une grande montagne et un dragon dedans, et pis il gardait une épée toute brillante, et c’est tout.
Kerval se tourna vers eux et croisa le regard de Crowbanner.
- Oui, il a sans doute rêvé de la Montagne Noire et de son Gardien, mais pour quelles raisons a-t-il fait ce rêve, je me le demande, dit Crowbanner pour répondre à la question silencieuse de Kerval. Dis-moi Marl, qui étaient tes parents ?
- Bah, c’était des fermiers, c’est tout. Enfin, eux c’était pas mes vrais parents, eux ils m’ont juste recueillit quand j’étais tout petit, mes vrais parents, je les connais pas.
Kerval se leva et se dirigea vers la porte de la cage :
- Ca va durer encore longtemps ? Allez-vous continuer à nous ignorer ? Nous ne sommes pas des animaux !
Une Amazone tourna la tête vers lui, en lançant un regard signifiant qu’elle lui faisait un grand honneur de le remarquer :
- Tais-toi. Les hommes n’ont aucun droit ici ! Vous allez bientôt passer en jugement.
- En jugement ? Et pour quels crimes ?
- Vous êtes venues nous envahir ! Demain, vous verrez Darwill, notre matriarche, elle décidera de votre sort, en attendant, tais-toi, ou je te coupe la langue.
Kerval retourna au centre de la salle et s’assit en maugréant.

Un petit groupe de voyageur examinait les cadavres de Kraaniens. Les cadavres commençaient à se putréfier, des asticots grouillaient dans leurs gueules et leurs blessures. La vermine avait fui en les entendant arriver.
Les voyageurs portaient pour la plupart une longue capeline les recouvrant des pieds à la tête, leur tête était cachée sous une capuche.
Un des membres du groupe s’avança et s’approcha d’un des cadavres pour l’examiner. Il rejeta sa capuche sur ses épaules découvrant un visage de femme aux longs cheveux noirs.
- Ils étaient là il y a moins d’une journée, dit la femme.
- Comment peux-tu en être aussi sur Lylas, dit celui qui semblait être leur chef.
Lylas se releva et fit face à l’homme, il était grand et était le seul du groupe à ne pas porter de cape, ceci à cause de la paire d’ailes noires qu’il portait dans son dos. Son regard était froid et dur.
- Je le sais, Drac, fais-moi confiance. Si je te dis qu’ils étaient là hier, c’est qu’ils y étaient.
- Puisque tu sembles si sure de toi, par où sont-ils partis ?
- Ils ont suivi la route là-bas, c’est normal, c’est celle qui mène aux Montagnes Noires.
Lylas enleva sa cape, libérant ainsi une paire d’ailes blanches.
- Ah ! Ça fait du bien, je suis vraiment trop à l’étroit là dedans, dit-elle en étirant ses appendices dorsaux.
- Remets ta cape tout de suite, lui dit Drac. Je ne veux pas courir le risque qu’on ne repère à cause de tes ailes.
- Mais, et les tiennes ?
- Les miennes sont invisibles pour qui ne cherche pas à les voir. Nous avons perdu assez de temps maintenant. Dayo nous a donné une mission, le temps presse. En avant !
- Suivez-moi, dit Lylas, je connais un chemin qui nous fera gagner du temps sur eux.
Ils remontèrent tous à cheval et repartirent au galop vers les Montagnes Noires.

Le soleil se levait doucement sur la Forêt Perdue, réchauffant le village des Amazones de ses doux rayons.
Kerval fut le premier à se réveiller. Il se leva, s’étira, fit craquer ses articulations et si dirigea vers les barreaux pour examiner le village et trouver un éventuel moyen de s’échapper.
Le village semblait immense, des routes pavées la traversaient entourées de chaque cotés par du gazon parfaitement taillé. Des parterres de fleurs étaient disposés ca et là, des roses, des bégonias, des géraniums, il y avait aussi des lilas à chaque intersection, le tout agencé avec un goût exquis.
Les habitations étaient faites de pierres de tailles, parfois sur plusieurs étages. Sur sa droite, Kerval aperçut ce qui ressemblait à un potager, des femmes étaient déjà en train de s’y affairer. L’enclos à chevaux n’était pas loin, une dizaine de chevaux paissaient tranquillement l’herbe.
Au centre du village trônait une immense fontaine sculptée, représentant une femme guerrière triomphante, le pied droit posé sur le flanc d’un dragon mineur. L’Amazone tenait la tête tranchée de la bête dans sa main gauche, l’eau s’écoulait de la gueule du dragon.
Plus loin, derrière la fontaine, Kerval aperçut une immense bâtisse. Construction sur trois étages, de nombreuses fenêtres agrémentées chacune d’un balcon au garde-fou sculpté, des colonnes de pierres taillées supportaient chaque balcon. Kerval se dit que ce devait être la demeure de la reine des Amazones.
Des Amazones s’activaient devant l’entrée du bâtiment. Une femme sortie, avisa deux Amazones qui s’approchèrent, elles se tournèrent et semblèrent regarder vers la cage. La femme retourna à l’intérieur tandis que les deux avec qui elle venait de discuter s’éloignait et disparaissait à la vue de Kerval.
Des enfants passèrent en courant dans les rues, s’arrêtèrent à la fontaine, s’amusèrent quelques instant à se lancer des gerbes d’eau et s’éloignèrent. Il n’y avait que des fillettes, aucun garçon.
Kerval se retourna, déçu, il n’avait rien trouvé qui puisse leur permettre de s’échapper.
Ses amis se réveillaient. Marl se leva en baillant, se dirigeât vers un coin de la cage, déboutonna son pantalon et urina. Il bailla encore en fermant les yeux, et quand il les rouvrit, une petite fille était plantée devant lui, de l’autre coté des barreaux, en train de l’observer. Marl, honteux de s’être fait prendre dans une telle position reboutonna son pantalon en hâte. La fillette s’approcha de lui et lui demanda :
- Bonjour, t’es qui toi ?
Les joues encore rouges, Marl bafouilla sa réponse :
- Je.. Je m’appelle Marl.. et toi ?
- Moi, c’est Syrilla, c’était quoi ?
- Heu… tu parles de quoi ?
- De ce que tu tenais dans la main, t’as une façon bizarre de faire pipi, tu fais pas assis, comme moi ?
La figure de Marl devint rouge comme une tomate, il bafouilla encore plus :
- Heu… c’est parce que…. Je …suis un garçon…
- Ah ? Et vous êtes pas fait comme nous ?
- Bah non, les filles et les garçons sont différents, tu n’as pas de frère ?
- Non, y’a pas de garçon dans le village, ils sont tous sacrifiés pour les Dieux de la forêt.
- Sacrifiés ? Mais pourquoi ?
- Les hommes ne sont pas les bienvenues chez les Amazones, dit une femme qui venait d’arriver. Elle avait les cheveux coupés courts, les épaules larges et portait une armure de cuir ouvragé.
- Maman ! dit la fillette en se jetant dans ses jambes le visage emplit d’un immense sourire.
- Syrilla, je t’avais dit de ne pas t’approcher de la cage des animaux.
- Mais maman, je voulais voir à quoi ils ressemblaient !
La mère entraîna sa fille en la tirant par le bras, Marl entendit la fillette parler tandis qu’elles s’éloignaient.
- Dis maman, tu savais que les garçons, et bah ils ont un truc bizarre entre les jambes, et pis ils font pipi debout, c’est sale non ?
Marl n’entendit pas la réponse de la mère car elles avaient tourné à un angle et avaient disparu derrière une maison.
- Rencontre intéressante ? dit une voix derrière lui.
- Heu… oui M’sieur Crowbanner. Une petite fille qui voyait un homme pour la première fois je pense.
- Oui, c’est ce que j’avais cru comprendre, répondit-il en souriant.
Crowbanner ébouriffa la tignasse noire de Marl et s’éloigna en rigolant.
- Elles arrivent ! dit Kerval. Préparez-vous.

- Vite ! Cachez-vous derrière ces rochers, quelqu’un vient, chuchota Merrick en entraînant ses trois compagnes hors du chemin.
Les quatre compagnons se dirigèrent sans bruit derrière les rochers et s’installèrent afin de voir les personnes qui arrivaient.
Un bruit de galops s’approchait rapidement.
- Ils doivent être au moins dix pour faire autant de bruit, chuchota Shan.
- Pourquoi nous cachons-nous ? demanda Delilah.
- Je me méfie des mauvaises rencontres que nous pourrions faire sur cette route, il serait dommage de faire une mauvaise rencontre avant de retrouver vos amis.
- Taisez-vous, les voilà ! dit Héloïse en leur faisant signe de se taire.
Le bruit des sabots sur la route caillouteuse s’était changé en vacarme assourdissant.
Les cavaliers passèrent en trombes, ils étaient neuf, tous emmitouflés dans une longue capeline.
Celui qui les menait était le seul à ne pas en porter, Merrick le reconnu tout de suite, ce visage, il ne pourrait jamais l’oublier.
- Drac ! murmura t’il plus pour lui-même.
Les cavaliers passèrent sans les remarquer.
Delilah tremblait, sa main dérapa sur le rocher et un caillou tomba sur le sol en faisant un bruit sec.
Le dernier cavalier passa en lançant un coup d’œil dans leur direction mais ne s’arrêta pas.
Le bruit de sabot diminua et finit par disparaître. Les aventuriers sortirent de derrière les rochers.
- Nous avons bien fait de nous cacher, dit Merrick.
- Tu les connais ? demanda Shan.
- J’en connais au moins un, celui qui ne portait pas de cape. C’est Drac.
Shan et Héloïse lui lancèrent un regard étonné.
- Drac ? Tu parle bien de… demanda Shan
- Oui, c’est lui qui a tué ma femme. Sa puissance est incommensurable, et malheureusement, il y a de fortes chances que ce soit lui qui ait été envoyé pour empêcher Kerval de retrouver l’épée.
- Par Artherk, dit Delilah en portant sa main à sa bouche. Suivons les, nous réussirons peut-être à les ralentir.
- Allons-y !

Trois Amazones approchaient de la cage, elles étaient lourdement armées, portaient chacune une armure de mailles et ceignaient une épée accrochée à leurs baudriers.
- Approchez-vous et mettez-vous dos aux barreaux, dit la première.
- Pourquoi ? Que voulez-vous faire ? demanda Kerval sur un ton de défi.
- Nous allons vous attacher les mains. Vous ne croyez tout de même pas que nous allons vous laisser libre de vos mouvements en présence de la Grande Darwill ? Allez, bougez-vous !
Il s’exécutèrent donc et, une fois qu’ils eurent tous les mains attachées, l’Amazone ouvrit la porte et il furent mener à la demeure de Darwill.
C’était le bâtiment que Kerval avait repéré la veille. L’Amazone les fit entrer à l’intérieur en les poussant rudement. L’entrée était éclairée par des candélabres accrochés aux murs et par un immense lustre en cristal pendu au plafond. Deux escaliers en forme de demi-lune partaient de chaque coté de la pièce et se rejoignaient à l’étage. Entre les escaliers se trouvait un long couloir qui partait vers l’intérieur de la maison. L’Amazone leur fit monter l’escalier, et ils s’arrêtèrent ensuite devant une grande porte en bois sculptée aux armoiries des Amazones.
L’Amazone se tourna vers eux et leur dit :
- Ne parlez que si on vous pose une question, les hommes n’ont pas droit à la parole, estimez-vous heureux de l’honneur que Darwill vous fait en vous recevant dans sa demeure.
Elle ouvrit la porte et ils pénétrèrent dans la salle d’audience.

Si l’entrée de la maison était magnifique, elle n’était rien en comparaison de la salle d’audience, des tentures et des tapisseries représentant des scènes épiques étaient accrochées aux murs de l’immense salle. Le sol était recouvert d’un tapis en velours, des bancs étaient disposés le long des murs et devant le trône de marbre noir sur lequel était assise Darwill.
La reine des Amazones portait bien son nom. C’était la plus belle femme que les malheureux prisonniers avaient jamais vue. Elle avait de grands yeux bleus, assortis d’un regard royal, une chevelure rousse lui retombait en frisé sur les épaules et elle ne cachait rien de ses attributs féminins.
La mère de la fillette du matin s’approcha et s’adressa à Darwill.
- J’ai fait amener les prisonniers comme tu l’as demandée Darwill.
- Je te remercie Ys, dit-elle en souriant.
Elle se tourna vers eux et demanda :
- Que venez vous faire ici, sur les terres des Amazones Libres ? Ne savez-vous pas que les hommes sont interdits ici ?
Kerval la regarda dans les yeux et lui dit :
- Nous n’avons pas demandé à être ici, ce sont vos femmes qui nous ont fait prisonniers !
- Parlez-moi sur un autre ton, s’empourpra t’elle.
Crowbanner s’approcha, posa ses mains sur l’épaule de Kerval, lui fit signe de se calmer et s’adressa à la reine.
- Ce que mon ami veux vous dire, grande reine, c’est que nous ne sommes que des humbles voyageurs, et si nous sommes passés par la Forêt Perdue, c’est que nous devons nous rentre le plus vite possible au-delà de la forêt pour y accomplir une très importante mission.
- Et quelle est cette mission ?
- Je suis désolé, grande reine, mais c’est une mission secrète.
- Je n’ai que faire de vos secrets, dites-moi ce que je veux savoir ou je vous fais exécuter.
Crowbanner soupira et continua :
- Bien, nous devons retrouver un artefact très important pour la survie du royaume et du Roy.
- Quel artefact ? Arrêtez de tourner autour du pot, cela commence à m’insupporter !
- Une épée, nous devons trouver une épée, pour sauver le Roy
- Une épée ? Sauver le Roy ? Ce pantin inarticulé qui ne me pose que des ennuis depuis qu’il est monté sur le trône ? Sa mort, au contraire, ne pourrait que faire du bien au royaume.
- Comment ? Vous ne pensez pas ce que vous venez de dire ! s’écria Kerval.
- Au contraire, mon ami, au contraire. Et pour vous prouver ma sympathie envers le Roy, je lui enverrai vos têtes en cadeau. Vous serez tous exécutés demain matin.
Les pauvres hères se défendirent de cette décision injustifiée, crièrent, vilipendèrent sur Darwill. Mais la reine des Amazones ne voulut rien savoir. Elle se leva de son trône, pointa sa main droite vers la sortie et dit :
- Ys, ramènes les dans la cage à bestiaux. Et prépare la cérémonie sacrificielle pour demain.
- Bien Darwill.
Ys claqua des mains et des gardes amazones entrèrent, empoignèrent les prisonniers et les firent sortir.
Bientôt Darwill n’entendit plus leurs cris de protestation, Ys s’approcha d’elle et lui dit :
- Est-ce bien utile de les tuer, ma reine ? Ils disent peut-être la vérité.
- Je n’ai aucune envie de les tuer, je veux juste leur faire peur. Nous avons une réputation à tenir. Arranges toi pour qu'ils s'échappent durant la nuit.

Ils avaient enfin quitté la Forêt Perdue.
Après leur entretien avec Darwill, la reine des Amazones, ils avaient été reconduis dans une autre cage, la cage à bestiaux, comme avait dit Darwill. Cette cage était beaucoup plus exiguë que la précédente, beaucoup plus sale aussi. Ils avaient été jetés dedans et parqués comme des bêtes au milieu des excréments et de détritus en tous genres.
Ys, l’Amazone qui les avait conduit jusqu’ici, referma la porte de la cage et la ferma à clé. Elle accrocha ensuite le trousseau à sa ceinture et s’éloigna. À peine avait-elle fait deux pas que le trousseau tombait dans l’herbe. L’Amazone ne s’en aperçut pas – c’est en tout cas ce que Kerval se dit – et continua son chemin, puis disparu au coin d’une maison, sans leur avoir adressé la parole.
Dès qu’elle eut disparue, Kerval se précipita pour attraper la clé, mais malheureusement, elle était tombée trop loin de la cage d’au moins un mètre. Kerval jura et frappa la terre de son poing. Marl le rejoignit, s’accroupit à ses cotés et lui demanda :
- Pourquoi vous êtes pas content, m’sieur ?
- Pourquoi ? Tu veux savoir pourquoi ? demanda Kerval en haussant la voix. Je vais te le dire, nous sommes emprisonnés dans une cage, entourés de femmes qui veulent nous sacrifier pour je ne sais quelle raison demain, la clé de la cage qui nous permettrait de nous échapper est juste à coté, par terre, mais je ne peux pas l’atteindre, ajouta Kerval en pointant un doigt vers la clé dans l’herbe.
- Je peux l’avoir moi, dit Marl en souriant.
- Quoi ? Et comment vas-tu t’y prendre ?
- Bah, c’est facile, dit-il en tirant une ficelle de sa ceinture. Je vais utiliser ça.
Marl déroula la ficelle et se tourna vers ses amis.
- j’ai besoin d’un truc pour accrocher la clé, une boucle de ceinture ou une broche.
- Tiens, dit Crowbanner en lui tendant la broche qui retenait sa cape.
Marl accrocha la boucle au bout de la ficelle, s’approcha des barreaux et lança son lasso improvisé sur la clé. Le premier lancer tomba trop loin derrière la clé, le deuxième trop à gauche, au troisième, il tomba pile sur la clé. Marl tira doucement la ficelle, la clé suivit, entraînée par la broche, mais elle fut bloquée par une pierre.
Marl se releva et se tourna vers ses amis :
- Ca va pas passer, la pierre gêne, je suis désolé, dit-il, déçu.
- Ce n’est pas ta faute, le rassura Crowbanner.
- Attendez, je vais essayer ma méthode, dit Ours.
Ours s’avança vers les barreaux et en empoigna deux qu’il commença à essayer d’écarter. Une veine gonfla sur son front sous le coup de l’effort.
- Continue Ours, tu y arrives, dit Rednalhgih.
- Oui, tu y es presque, mon ami, ajouta Kerval.
Ours suait à grosses gouttes, respirait bruyamment et écartait les barreaux petit à petit. Dans un ultime effort, les barreaux s’écartèrent assez pour lui permettre de passer. Il sortit, alla ramasser la clé, revint dans la cage et la tendit à Kerval.
- Et voilà, dit-il encore essoufflé par l’effort.
Tout le monde regardait Ours, tournant le regard successivement entre lui, la clé qu’il tendait et l’ouverture qu’Ours avait faite. Kerval prit la clé et sourit.
- Merci, ami, mais je pense que nous n’en avons plus besoin, dit-il en se faufilant entre les barreaux.
- Ours, t’es vraiment super fort, dit Marl en lui lançant un regard admiratif.
Ils sortirent en silence de la cage et s’avancèrent vers les bois en se faufilant dans l’ombre des bâtisses.
Arrivé à l’angle de la dernière maison, Kerval leur fit signe de s’arrêter.
- Nous devons récupérer notre équipement, dit-il.
- Vous avez raison, dit Crowbanner. Mais comment faire sans qu’elles ne nous remarquent ?
- J’y vais, dit Marl en s’avançant. Je suis petit, je pourrais me cacher plus facilement que vous.
- Je l’accompagne, dit Rednalhgih. À nous deux, nous arriverons à récupérer nos affaires, allez nous attendre à couvert. Et ce n’est pas la peine de protester, vous savez que nous avons raison.
Red et Marl retournèrent dans le village, tandis que les autres allèrent se cacher à l’orée de la forêt.
- J’espère qu’ils ne vont pas se faire prendre, dit Kerval. D’autant plus que nous ne savons pas où notre matériel est rangé.
- Ils y arriveront, j’ai confiance, le rassura Crowbanner.
- J’espère que vous dites vrai.
Marl et Red marchaient sans bruit, longeant les murs des maisons et se faufilant dans l’ombre. Ils s’arrêtèrent précipitamment en entendant des femmes approcher.
Après s’être assurer qu’ils avaient le champ libre, ils passèrent l’angle de la maison derrière laquelle ils s’étaient cachés et ils tombèrent nez à nez avec Syrilla, la fillette qui les avait observée dans la cage plus tôt. Marl et Red s’arrêtèrent net. Red l’attrapa et lui fit signe de se taire. Syrilla montra qu’elle avait compris et, à leur grand étonnement, leur fit signe de la suivre.
Elle les emmena dans un renfoncement entre deux maisons et leur dit :
- Vous vous êtes échappés ?
- Non non, on nous laissé partir, lui dit Marl avec un grand sourire.
- Alors pourquoi vous vous cachez ? demanda t’elle.
- Nous ne voulons pas réveiller tout le monde, tu ne diras pas que tu nous a vu, hein ?
- Oh non, pour sur, je dirai rien, je suis pas une rapporteuse.
- Bien, bien, mais dis-moi, tu ne saurais pas où sont rangées nos affaires, lui demanda Red en s’accroupissant.
- Si je l’sais, elles sont à la caserne.
- Ah, et elle est loin la caserne ?
- Non, on est juste devant.
Red et Marl se regardèrent les yeux pétillants.
- Il y a du monde à l’intérieur ? demanda Marl.
- Il doit y avoir deux gardes, il est tard.
- Tu peux nous rendre un service ? demanda Red.
- Quoi comme service, demanda la fillette, hésitante.
- Il faudrait que tu fasses sortir les gardes le temps que nous récupérions notre matériel.
- Je veux bien, mais à une condition.
- Laquelle ? demanda Marl.
- Je veux que tu m’embrasses.
- Hein ! ? tu veux que je t’embrasse ?
- Oui, sinon, je vous aide pas.
Marl regarda la fillette, se tourna vers Red qui lui fit un signe de tête lui signifiant de le faire.
Marl approcha ses lèvres du visage de Syrilla et lui déposa un baiser sur la joue. La fillette gloussa, se releva et se dirigea vers la porte de la caserne.
- Ne bougez pas, vous saurez quand vous pourrez y aller, dit-elle avant de disparaître à leur vue.
L’instant d’après elle se précipitait dans la caserne en criant qu’elle avait vu un ours énorme près de l’enclos des chevaux. Les gardes sortirent et se précipitèrent vers l’enclos. La fillette les laissa s’éloigner et retourna vers la cachette de Red et Marl.
- c’est bon, vous pouvez y aller, dit-elle.
Red et Marl se relevèrent et entrèrent dans la caserne pour reprendre leur matériel. Ils repartirent rejoindre le reste du groupe, suivit de la fillette qui avait décidé de les accompagné jusqu’à la sortie du village, au cas où ils rencontreraient quelqu’un. Au bout de quelques minutes, ils arrivèrent à la limite du village, là où leurs amis les attendaient. Red couru vers les arbres, suivit de Marl, mais ce dernier fut stoppé par Syrilla qui lui attrapa la main, le tira vers lui et l’embrassa sur la bouche. Marl se laissa faire. Syrilla sorti une petite fiole de sa poche et la tendit à Marl.
- Tiens, buvez tous de ça et vous ne sentirez pas les effets de la forêt. Si vous n’en prenez pas, dans une heure vous vous évanouirez tous. Pour trouver la sortie, c’est facile, suivez la lune et vous ressortirez de la forêt.
- Merci Syrilla, je…
- Chut, dit-elle en lui posant un doigt sur les lèvres.
Puis la fillette repartie en lui souhaitant bonne chance.
Marl rejoignit ses amis qui avaient repris leurs chevaux dans l’enclos, ils remarquèrent ses joues rouges à la lumière de la lune
- Je crois que notre ami Marl s’est trouvé une copine, dit Kerval en riant doucement.
- Non, même pas vrai, se défendit Marl.
Ils sourient tous et ils se remirent en route.

Au petit matin, ils émergeaient enfin de la forêt.
- Et maintenant, où allons-nous ? demanda Kerval en faisant volter son cheval vers Red.
- Et bien, comme prévu, le Val des Murmures. Au Nord d’ici.
- Alors en avant, nous avons suffisamment perdu de temps comme ça.
Le cheval de Kerval se cabra et ils s’élancèrent au galop vers leur prochaine étape.