Les ennuis commencent

 

La petite troupe cheminait tranquillement le long d’une route rocailleuse. Kerval était en tête, suivit par Ours Blond, Rednalhgih, Crowbanner et les gardes. Ils chevauchaient maintenant depuis trois jours et le paysage qu’ils avaient devant les yeux ne changeait que très rarement. Les plaines étaient verdoyantes, ça et là des fleurs piquetaient les champs de leurs couleurs chatoyantes. Le soleil était haut dans le ciel et tapait sur les voyageurs. Kerval fit volter sa monture et arrêta ses compagnons.
- Nous allons faire une halte. Le soleil est trop chaud et nos montures sont fatiguées. Nous allons nous abriter dans ces fourrés en haut du talus là-bas, dit-il en pointant une petite colline sur sa droite
- J’ai faim, dit Ours en si dirigeant vers le talus.
- Mais oui Ours, on va manger un casse-croûte, t’en fais pas.
Le groupe de voyageurs sorti du chemin et se dirigea vers le talus. Ils descendirent de cheval et commencèrent à dresser un campement sommaire. Les soldats eurent la charge de s’occuper des chevaux, vérifier l’état des faire, les étriller et leur donner du grain dans un sac de cuir qu’ils accrochèrent à la tête des équidés.
Ours revenait avec des bouts de bois qu’il se mit en devoir d’allumer. Il bataillait avec sa pierre à feu depuis dix bonnes minutes quand Rednalhgih s’approcha du feu et claqua des doigts au-dessus des brindilles qui s’enflammèrent instantanément.
- Si tu veux du feu, demande-moi Ours, ca ira plus vite.
- Merci Red. Bon, moi je vais voir si je trouve pas à manger.
- Mais Ours, on a des pains et du fromage dans les sacs !
Ours regarda Red puis les sacs de provision et se retourna vers les fourrés.
- Donc, je disais, je vais chercher à manger, dit-il en s’éloignant.
- Il est toujours comme ca ? demanda Kerval.
- Bof, là il est dans ses bons jours, mais il est pas méchant vous verrez. Seulement quand il a une idée en tête, il en démord pas. Mais en cas d’coup dur, vous pouvez toujours compter sur lui. J’ai plusieurs fois mis ma vie entre ses mains et j’ai pas à m’en plaindre.
- Il reste encore combien de temps avant que nous arrivions à la Forêt Perdue ? demanda Crowbanner qui s’était joint à eux autour du feu.
- Nous devrions la voir demain en fin d’matinée, dit Rednalhgih.
- Et ensuite ? Combien de temps pour les Montagnes Noires ? Je ne veux pas vous presser mais notre tâche requiert de nous que nous fassions le plus vite possible.
- Ma foi, je n’ai jamais fait le trajet d’une traite, mais je pense que d’ici dix jours nous y seront.
- Dix jours ! ? s’exclama Kerval. Mais c’est beaucoup trop.
- Bah j’suis désolé, mais y’a pas l’choix Kerval, c’est l’chemin l’plus rapide pour aller dans les montagnes.
Kerval se tut et s’éloigna en grommelant pour aller aider les soldats. Ours réapparu avec le cadavre d’une antilope dans les bras. Il la posa près du feu.
- Et voilà c’que j’appelle à manger ! Je vais l’embrocher et on aura des bonnes grillades à manger, dit-il.
Ours s’agenouilla et commença à dépecer l’animal. Il venait à peine de commencer qu’il se releva, tournant la tête à droite et à gauche et tendant l’oreille.
- Quelqu’un vient, dit-il
Crowbanner et Rednalhgih se relevèrent, Kerval et les soldats se rapprochèrent et tous firent silence. Quelques instants plus tard, ils entendirent des cris d’appel au secours.
- C’est par-là, dit Ours en s’élançant au bas du talus vers un bois avoisinant.
- Ours ! Attends-nous, cria Rednalhgih en s’élançant après son ami.
Les autres les suivirent et s’approchèrent du petit bois. Ils arrivèrent à l’orée du bois juste au moment où un jeune garçon au regard terrorisé en émergea. Il se dirigea vers eux en criant :
- Aidez-moi, je vous en prie ! Ils vont me tuer, au secours, aidez-moi !
- Oh là, du calme mon garçon, dit Kerval alors que l’enfant se jetait dans ses jambes et se cachait derrière lui.
- Où ils sont ? demanda Ours en prenant son énorme hache dans les mains.
- Derrière ! Ils arrivent ! Oh je vous en prie aidez-moi !
- Qui ça « ils » ? demanda Rednalhgih ?
- Les…
L’enfant ne put finir sa phrase qui mourut dans sa bouche alors que les horribles créatures émergeaient de l’abri des arbres. Elles ressemblaient à de gros insectes géants avec trois paires de pattes, des mandibules énormes et des yeux amplis de haines.
- Par les Dieux, s’écria Crowbanner.
- Des kraaniens, ce sont des kraaniens ! dit Rednalhgih.
- Il y en a plus de vingt. Le combat va être rude. Tout le monde en position de combat ! s’écria Kerval.
Les soldats et Kerval dégainèrent leurs armes, Ours Blond abattit lourdement sa hache sur le sol, Rednalhgih rejeta sa cape sur ses épaules et sortit son bâton de magie et tous formèrent un cercle autour de l’enfant.

Le port de Windhowl bouillait d’effervescence. C’était jour de marché et chacun y allait de son échoppe, criant plus fort que son voisin pour attirer les clients. Les pêcheurs débarquaient les caisses remplies de poissons et les amenaient dans un grand entrepôt où les commis allaient les acheter pour les rapporter à leur patron et les vendre.
Le marché était agencé en différentes zones, chacune correspondant à des produits différents. Les échoppes près des quais étaient bien sur celles des poissonniers, venaient ensuite les marchands de fruits et légumes qui proposaient leurs produits frais venant de leurs potagers, puis, il y avait les vendeurs de viandes et autres produits. Des enfants courraient dans les rangées essayant de chiper quelque chose à grignoter. Ils jouaient entre eux à celui qui arriverait à voler le meilleur butin sans se faire prendre. Des chiens errants traînaient aussi, se contentant des produits tombés par terre ou jugés invendables par les marchands.
C’est dans cette atmosphère que la Princesse Delilah débarqua. Elle avait troqué ses habits princiers pour un simple pantalon de cuir usé, une ample chemise en tissu marron et des bottes de cuir noir. Elle portait une rapière accrochée à sa ceinture et avait rattaché ses cheveux en queue de cheval qui lui retombait sur l’épaule.
Elle essayait tant bien que mal de se frayer un passage dans la cohue qui régnait autour d’elle. Elle accosta un passant et lui demanda où elle pourrait trouver l’auberge. Des enfants accoururent vers elle et lui demandèrent un peu d’or, elle leur en donna avec un large sourire puis se remit en marche vers l’auberge, écoutant les cris de joies des enfants qui disparaissaient derrière elle.
Après plusieurs minutes de marche, elle arriva devant la bâtisse abritant l’auberge de la ville. L’enseigne accrochée au mur ne permettait pas de se tromper. Elle représentait un visage de troll orné d’un grand sourire gravé sur une planche de bois ouvragé. Le nom de l’auberge était écrit sous le visage du troll : Le Troll Farceur.
Delilah poussa la porte et entra dans l’auberge. Le grand calme qui régnait à l’intérieur contrastait grandement avec la place du marché. Seuls quelques clients étaient attablés, cuvant leur bière. Delilah s’approcha du comptoir et demanda timidement à l’aubergiste qui était en train de laver sa vaisselle :
- Excusez-moi, pourriez-vous me donner une chope de bière je vous prie ?
L’aubergiste la regarda avec un air ahurit. Il n’était pas habitué à ce qu’on s’adresse à lui avec autant de manière. Delilah remarqua son étonnement et se dit qu’elle allait essayer de plus parler comme les gens du peuple. L’aubergiste posa l’assiette qu’il avait dans les mains et lui servit une chope de bière.
- Voilà ma p’tite dame. Vous verrez, c’est la meilleure bière de tout le royaume, enfin, après celle du Roi, dit-il en lui faisant un clin d’œil.
- Merci bien. C’est toujours aussi calme ici ? demanda Delilah en goûtant sa bière.
- Les jours de marché, oui. Tout le monde va faire ses courses.
- Vous avez raison en parlant de la bière, elle est vraiment…extra, dit-elle après un instant d’hésitation.
- C’est notre meilleure vente. On s’rait plus tard dans la journée, j’vous aurais bien proposé mon fameux ragoût d’cochon, mais l’est p’t’être un peu tôt pour manger non ?
- Oui et puis j’ai mangé avant de débarquer.
- Et vous v’nez d’où si j’peux m’permettre ?
- Je viens de Silversky.
- Silversky ? Et qu’est-ce qui vous amène ici ?
- Je suis à la recherche d’amis. Vous ne les auriez pas vus ? Il s’agissait de Kerval et de l’évêque Crowbanner.
- Ma foi, oui j’les ai vu y’a pas 4 jours de ça. Et z’avez d’la chance que j’m’en rappelle, c’jour là y’avait un anniversaire ici, et c’était vraiment l’bordel !
- Et vous savez par où ils sont partis ?
- Alors là, j’en ai aucune idée, j’suis vraiment désolé.
- Ce n’est pas grave.
Delilah finit sa chope de bière, s’apprêta à partir puis se retourna vers l’aubergiste :
- Je peux vous demander une dernière chose ?
- Bien sur ma p’tite dame. Qu’est-ce que j’peux faire pour vous ?
- Les Montagnes Noires, c’est dans quelle direction ?
Ours Blond poussa un cri de guerre ressemblant à celui de l’animal dont il portait le nom. Il leva sa hache en balançant des gerbes de poussières sur les Kraaniens, puis il se jeta dans la bataille, suivit par Kerval et les soldats.
Les coups de hache d’Ours faisaient toujours mouche, tranchant patte et têtes. Kerval et ses soldats n’étaient pas en reste, leurs armures étaient recouvertes du sang vert des insectoïdes qui mouraient en poussant de longs cris d’agonies. De son coté, Rednalhgih lançaient des sorts d’élémental de pierre. Il envoyait des petits rochers s’écraser sur ses ennemis.
Bientôt, tous les kraaniens furent au sol.
- C’était pas si dur, dit Ours Blond en écrasant la tête d’un kraanien qui remuait encore.
- Ouais, trop facile, dit Rednalhgih.
- Ne nous réjouissons pas trop vite mes amis, ils pourraient revenir, dit Kerval en nettoyant son armure du sang des kraaniens.
- Un peu de silence ! dit Crowbanner en levant la main.
Tout le monde se tut et écouta. Un léger vrombissement résonnait dans le bois.
- Qu’est-ce que c’est que ca ? demanda Crowbanner alors que le bruit se faisait plus fort.
- C’est eux, ils reviennent ! hurla le jeune garçon.
Le vrombissement se fit de plus en plus fort. Le son ressemblait au bruit que feraient des milliers d’abeilles. La petite troupe s’était remise en position de combat et attendait. Quelques instants plus tard des créatures volantes émergèrent du bois. Leur corps était fait d’une carapace de chitine jaunâtre et de deux paires d’ailles. Elles avaient la même tête que les kraaniens qui les précédaient. En plus de ces kraaniens volants, d’autres arrivaient, il y avait les mêmes kraaniens qu’avant et d’autres, sortes de milles pattes énormes qui donnait l’impression d’être sur le point d’exploser. Ils s’arrêtèrent devant les cadavres de leurs congénères, les sentirent et regardèrent les intrus en faisant claquer leurs mandibules.
- Préparez-vous ça va faire mal, dit Kerval en raffermissant sa prise sur son arme.

Les deux camps ne bougeaient pas, chacun attendait que l’autre fasse le premier pas. Les soldats levèrent leurs boucliers et leurs épées, Crowbanner fit le vide dans son esprit. Rednalhgih ferma les yeux et se concentra sur ses incantations. Ours Blond plia à moitié ses jambes, prêt à bondir, sa hache en mains. Les Kraaniens volant s'étaient accrochés aux branches des arbres tandis que les rampants s’éloignaient pour encercler les humains. La tension était presque palpable dans l’air.
Du haut d’une branche un corbeau croassa. Le vent souffla dans les branches, un gland se détacha et tomba sur des feuilles mortes qui bruissèrent sous le poids du gland. C’était le signal, les kraaniens rampants s’élancèrent sur leurs adversaires, les mandibules grandes ouvertes, la première espèce cracha des jets de venin, les kraaniens volants se laissèrent tomber des branches et se jetèrent dans le combat.
Ours Blond faisait tournoyer sa hache au-dessus de sa tête, fauchant tous les kraaniens volants qui s’approchaient trop de lui.
Kerval essayait tant bien que mal de contenir les attaques de trois mille-pattes, il trancha la tête du premier et planta sa hallebarde dans le thorax du second en tournant son arme dans les entrailles de la bête. Quand il voulut retirer son arme, celle-ci refusa de sortir, il tira de toutes ses forces et l’abandonna pour éviter l’assaut du troisième mille-pattes, il trébucha et tomba lourdement sur le dos. L’insecte s’approcha de lui en écartant ses pattes, se pencha vers la gorge de Kerval. Avant d’avoir fini son mouvement l’insecte explosa, répandant ses entrailles fumantes sur Kerval. Le maître d’arme se releva et remercia Rednalhgih d’un signe de tête, s’approcha du cadavre de kraanien dans lequel était coincée son arme et tira. L’arme finie par sortir, juste à temps pour que Kerval tranche la tête d’un nouvel insecte.
Kerval entendit un cri sur sa droite, il se retourna et vit un des gardes. Le pauvre n’avait pas été assez vigilant, un des mille-pattes avait réussi à l’attraper dans ses pattes et lui déchiquetait la gorge. Le soldat émis un dernier borborygme en crachant du sang et s’effondra à terre, le corps prit de spasmes nerveux.
- Ils sont trop nombreux s’écria Kerval. Replions-nous avant que nous n’y passions tous.
- Juste quand je commençais à m’amuser, s’écria Ours en plantant sa hache dans la tête d’un kraanien volant.
- Il a raison, nous devons partir, amis. Cette bataille n’est pas la notre.
Ours fit demi-tour en maugréant, attrapa l’enfant et s’élança à la suite de ses compagnons.
De retour sur le talus, ils détachèrent les chevaux, sautèrent en selle et partirent au galop.
- Les volants nous suivent ! s’écria l’enfant.
- Je m’en occupe, dit Rednalhgih.
Il se tourna à moitié sur sa selle, pointa son bâton sur les insectes volants. L’extrémité de son bâton se mit à rougeoyer, des étincelles crépitèrent au-dessus de l’arrière-train du cheval, puis un trait lumineux jaillit du bâton en direction des kraaniens alors que Rednalhgih hurlait :
- Brûlez tous ! Vague de flammes ! !
Arrivé près des kraaniens, le rayon lumineux grossit, se sépara en plusieurs boules de feu qui allèrent frapper tous les insectes qui s’écrasèrent au sol, le corps carbonisé.
Après s’être assuré qu’ils n’étaient plus poursuivis, ils s’arrêtèrent sur le bord de la route et descendirent de cheval.
- Où sont passés Rodric, Mark et Elris ? demanda Kerval au soldat restant.
- Ils n’ont pas réussit, répondit Bron la mine sombre..
- Satanées bestioles ! Et nous n’avons même pas eu le temps de ramasser nos affaires, nous voilà bien.
- Nous sommes en vie, c’est l’essentiel, lui dit Crowbanner. Ces pertes nous sont catastrophiques, mais nous pleurerons leur perte plus tard. Pour le moment, je pense qu’il est temps de faire connaissance avec notre nouveau compagnon.
Tout le monde se tourna vers le jeune garçon. Il avait les cheveux noirs et ébouriffés, des yeux d’un bleu profond pétillant d’intelligence, ses vêtements étaient crasseux et les regardait mi-curieux, mi-apeuré.
- Alors mon jeune ami, quel est ton nom ? Et que faisais-tu ici tout seul ? lui demanda Kerval.

Cela faisait plusieurs heures que Delilah chevauchait dans la direction que lui avait donnée l’aubergiste. Il s’était montré très chaleureux et lui avait donné des provisions pour son voyage, il lui avait aussi fournit un cheval en lui souhaitant de retrouver ses amis.
Elle arriva en vue d’une forêt et décida de faire une halte. Elle fit avancer son cheval au pas jusqu’à être à l’abri des arbres et descendit. Elle tira son cheval par la bride et s’éloigna un peu de la route. Elle attacha le cheval à une branche basse, lui laissant assez de moue pour qu’il puisse brouter.
Delilah prépara un campement sommaire, sortit du pain et de la viande séchée de son sac et commença à manger.
Elle remballait ses affaires quand elle entendit des murmures tout autour d’elle.
- Il y a quelqu’un ?
Un rire derrière elle.
- Montrez-vous !
- Et pourquoi ? lui répondit une voix aigrelette dans les arbres sur sa droite.
- C’est vrai ça, pourquoi on sortirait ? On est bien où on est, rétorqua une autre, sur sa gauche cette fois.
- Elle m’a l’air très appétissante cette petite, dit une troisième fois
- Qu’est-ce que vous voulez ? demanda Delilah en portant la main sur sa rapière.
Elle entendit un sifflement partir de sa droite et sentit une piqûre dans son cou. Elle s’écroula au sol l’instant d’après.